La violence à l’égard des filles et des femmes constitue un phénomène de grande ampleur au Maroc et dans le monde. Compte tenu de ses conséquences sur la santé physique et mentale et des décès qui peuvent en découler, ce fléau constitue un véritable problème de santé publique qui touche plus d’un tiers de femmes dans le monde et plus de la moitié des femmes au Maroc. Pourtant, l’ONU affirme que la violence à l’égard des femmes n’est pas une fatalité et que des politiques et des programmes adéquats donnent des résultats concrets.
La violence à l’égard des femmes et des filles reste la violation des droits humains la plus répandue et la plus pressante qui soit, a déclaré Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, célébrée le 25 novembre de chaque année. Le responsable onusien a également qualifié les actes de violences à l’égard des femmes de crimes odieux et d’urgence de santé publique qui a de lourdes conséquences pour des millions de femmes et de filles partout dans le monde. «La violence dans toute société nous touche tous. Elle marque la génération suivante et distend le tissu social. Mais elle n’est pas une fatalité. Des politiques et des programmes adéquats donnent des résultats», a affirmé Guterres dans son message. Et d’ajouter qu’«il faut donc des stratégies globales à long terme pour s’attaquer aux causes profondes de la violence, protéger les droits des femmes et des filles et encourager des mouvements de défense des droits des femmes forts et autonomes». Le secrétaire général des Nations unies a ainsi rappelé que grâce à l’initiative Spotlight, établie dans le cadre d’un partenariat avec l’Union européenne, le taux de poursuite a augmenté de 22 % en 2020, dans les pays partenaires. 84 lois et politiques ont été adoptées ou renforcées et plus de 650.000 femmes et filles ont pu accéder à des services à la suite de violences fondées sur le genre, malgré les contraintes liées à la pandémie.
Au Maroc, les pouvoirs publics ont adopté plusieurs stratégies, programmes et plans consécutifs de lutte contre la violence à l’égard des femmes durant les deux dernières décennies, ainsi qu’un cadre légal spécifique, la loi n°103-13 relative à la lutte contre la violence faite aux femmes entrée en vigueur depuis 2018. Il reste que l’ensemble de ces actions n’ont pas d’impact significatif sur la réduction et l’élimination de ce phénomène. En effet, le dernier rapport du Haut-Commissariat au Plan sur la condition féminine au Maroc publié en octobre dernier avait révélé que 57% des femmes ont été victimes d’un acte de violence en 2019 (soit 7,6 millions de femmes âgées de 15 à 74 ans parmi les 13,4 millions ont subi, en 2019). Le même document a montré que les prévalences des violences économiques et sexuelles ont fortement augmenté. Elles sont passées respectivement de 8 à 15%, et de 9 à 14% entre 2009 et 2019. La violence faite aux femmes et aux filles reste principalement perpétrée au sein de l’espace conjugal et familial avec une prévalence de 52,1%, suivi du milieu éducatif avec un taux de 18,9% et du milieu professionnel (15,4%). Dans les espaces publics, la prévalence est de 12,6%.
Impact de la pandémie Covid-19 sur les violences à l’égard des femmes
Depuis l’apparition de la pandémie de Covid-19, le phénomène de la violence à l’égard des femmes s’est intensifié non seulement dans la sphère familiale, mais aussi ailleurs. C’est pourquoi ONU-Femmes qualifie cette violence de «pandémie de l’ombre». À l’heure où le monde concentre ses efforts sur la lutte contre la Covid-19, ce fléau se répand, exacerbé par les mesures mises en place pour atténuer la propagation du virus, comme le confinement, la distanciation sociale et autres formes de restrictions de déplacement.
«Si le confinement peut être crucial pour limiter la propagation de la Covid-19 et la prévenir, il a aussi des effets dévastateurs pour les femmes et les filles, augmentant le risque de violences sexistes, car un grand nombre de facteurs qui déclenchent ou perpétuent la violence à l’égard des femmes et des filles sont aggravés par les mesures de confinement préventives. Les données mondiales ont montré une augmentation des appels aux services d’assistance destinés aux femmes victimes de violences. On signale, entre autres, une augmentation de la violence exercée par un partenaire intime, des mariages forcés ou des enfants, de la mutilation génitale féminine et de la violence sexuelle», indique l’ONU.
Au Maroc, durant la période du confinement entre mars et juin 2020, les violences basées sur le genre se sont accentuées de 31,6% par rapport à la même période de l’année 2019, selon un rapport de la Fédération des ligues des droits des femmes.
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Le secrétaire général de l’Onu : «La violence à l’égard des femmes n’est pas une fatalité»
«La violence à l’égard des femmes et des filles reste la violation des droits humains la plus répandue et la plus pressante qui soit. À la fois crime odieux et urgence de santé publique, elle a de lourdes conséquences pour des millions de femmes et de filles partout dans le monde. Les derniers chiffres d’ONU-Femmes confirment que la violence à l’égard des femmes et des filles a augmenté pendant la pandémie de Covid-19. Dans 13 pays, pratiquement une femme sur deux a déclaré qu’elle, ou une femme de son entourage, avait commencé à subir des violences fondées sur le genre pendant la pandémie. Près d’un quart ont évoqué des conflits familiaux plus fréquents ou un sentiment d’insécurité grandissant au foyer. La violence dans toute société nous touche tous. Elle marque la génération suivante et distend le tissu social. La violence contre les femmes, l’oppression des civils et les conflits violents sont directement liés. Le viol et l’esclavage sexuel servent d’armes de guerre. La misogynie imprègne l’extrémisme violent. Mais la violence à l’égard des femmes n’est pas une fatalité. Des politiques et des programmes adéquats donnent des résultats. Il faut donc des stratégies globales à long terme pour s’attaquer aux causes profondes de la violence, protéger les droits des femmes et des filles et encourager des mouvements de défense des droits des femmes forts et autonomes. L’ONU a donc établi l’initiative Spotlight, dans le cadre d’un partenariat avec l’Union européenne. En 2020, dans les pays partenaires, le taux de poursuite a augmenté de 22%, 84 lois et politiques ont été adoptées ou renforcées et plus de 650 000 femmes et filles ont pu accéder à des services à la suite de violences fondées sur le genre, malgré les contraintes liées à la pandémie. Le changement est possible. Le moment est venu de redoubler d’efforts pour éliminer, ensemble, la violence à l’égard des femmes et des filles d’ici à 2030.»
Les 16 jours d’activisme de l’ONU Femmes
Comme chaque année, la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes donne le coup d’envoi de 16 jours d’activisme qui se termineront le 10 décembre, jour de la commémoration de la Journée internationale des droits de l’Homme. «Cette année, et face au constat des multiples impacts de la crise de la Covid-19 sur la vie des femmes et des filles dans le monde, et notamment l’augmentation alarmante de toutes les formes de violences fondées subies, cette édition de la campagne condamnera les violences dans la multiplicité et complexité de leurs manifestations, et soulignera l’urgence de prendre des mesures pour y mettre fin», souligne Leila Rhiwi, Représentante de l’ONU Femmes au Maroc dans un entretien accordé au Matin, précisant que le thème retenu pour l’édition 2021 est «Orangez le monde : mettons fin à la violence contre les femmes et les filles MAINTENANT !». «ONU Femmes Maroc participera à de nombreuses expressions de la mobilisation organisées par nos partenaires. Ainsi, une réflexion sur les défis et enjeux de la coordination intersectorielle de la prise en charge des femmes victimes de violences est prévue. Elle visera à assurer une meilleure compréhension par les départements ministériels et les haut-gradés de la Direction générale de la Sûreté nationale de la restructuration de la réponse policière aux violences faites aux femmes et aux filles ainsi que du circuit complet de leur prise en charge», explique Rhiwi.
Enfin, tout au long des 16 jours d’activisme, de nombreuses initiatives sont programmées et une présence digitale et médiatique sera assurée pour visibiliser les efforts des partenaires institutionnels et de la société civile d’ONU Femmes et de l’ensemble des agences des Nations unies au Maroc pour prévenir et lutter contre ce fléau. «Il s’agira également de briser le silence et faire davantage entendre la voix des survivantes de violence», a insisté la représentante de l’ONU Femmes au Maroc.
Entretien avec la Représentante de l’ONU Femmes au Maroc
Leila Rhiwi : «Il est aujourd’hui encore nécessaire de poursuivre un travail colossal de sensibilisation»
Selon vous, est-ce que les femmes victimes de violences au Maroc arrivent aujourd’hui à mieux se faire entendre ?
Le travail de collecte et d’analyse de données mené par le Haut-Commissariat au Plan avec l’appui d’ONU Femmes ces trois dernières années a permis de mettre à jour les taux de prévalence des violences faites aux femmes et de renforcer la connaissance du phénomène, dans ses manifestations mais aussi dans les perceptions et le ressenti des victimes. En effet, le rapport 2019 sur la violence à l’égard des femmes et des filles révèle une tendance préoccupante du silence de l’entourage des victimes. En effet, 48,1% des victimes se confient à quelqu’un (proches, amis ou connaissances) après avoir subi un acte violence (67% en cas de violence physique et seulement 38% en cas de violence conjugale). Ce constat traduit une acceptation de la violence, soit une non-réaction de la société et qui interpelle sur la passivité de l’entourage social, et son rôle dans la perpétration et la banalisation de la violence à l’égard des femmes.
Ce silence et cette acceptation sont également reflétés par le faible taux de recours aux services d’aide et aux autorités compétentes. En effet, les survivantes continuent à ne pas entreprendre d’actions concrètes suite à une agression physique et/ou sexuelle et pouvoir ainsi arrêter définitivement le cycle de la violence. Elles ne sont que 13% à le faire en cas de violence physique, 7,5% en cas de violence conjugale et seulement 3% en cas d’agression sexuelle.
J’aimerais conclure ma réponse à cette question par un message aux survivantes, parce qu’on ne le répétera jamais assez, nous vous croyons. La honte n’est pas de votre côté, et les violences ne sont pas inévitables et jamais acceptables.
Maintenant que le Royaume dispose d’une loi pour la violence contre les femmes, quelles sont les actions qu’il faut faire pour éradiquer ce fléau ?
En effet, le Royaume dispose depuis plus de deux ans de la loi 103.13 relative aux violences faites aux femmes. Ce texte de loi constitue un cadre normatif pour faire face aux violences contre les femmes, et institutionnalise une réponse coordonnée au phénomène avec notamment le comité national de prise en charge des femmes victimes de violences.
La réponse institutionnelle est donc déjà établie, et les départements concernés ont depuis démontré la priorité donnée aux violences faites aux femmes, à l’instar de la Direction générale de la Sûreté nationale. Cependant, et compte tenu du taux de recours encore bas aux services mis en place par la loi 103.13, ONU Femmes appelle également à intensifier les efforts d’application et de mise en œuvre de ladite loi, notamment dans ses aspects de prise en charge et de sensibilisation mais aussi de coordination intersectorielle, afin que la protection des femmes devienne effective.
De plus, malgré ce socle légal, les discriminations fondées sur le genre persistent dans le droit et ne pourront être adressées que si une refonte globale du code pénal et du code de procédure pénale est placée en priorité par les départements concernés. Cette refonte sera une opportunité de rectifier les manquements juridiques et les obstacles à la pleine jouissance des femmes et des filles de leurs pleins droits, dont celui de vivre une vie sans violence. En effet, le code actuel contient plusieurs articles qui constituent des domaines des préoccupations pour ONU Femmes au titre des engagements internationaux du Maroc, dont par exemple la non-pénalisation explicite du viol conjugal, et la pénalisation de l’avortement.
Par ailleurs, les violences faites aux femmes et aux filles sont un fléau sociétal renforcé par un schéma patriarcal qui ancre les rapports de domination de l’homme sur la femme. Ce rapport de domination masculine est la cause directe des violences fondées sur le genre. Par conséquent, il est aujourd’hui encore nécessaire de poursuivre un travail colossal de sensibilisation, mené par les organisations de la société civile et inviter les départements sectoriels concernés à s’y engager, afin de changer ces normes sociales et déconstruire les stéréotypes de genre qui engendrent les masculinités toxiques.
Au cours des dernières années, la DGSN et ONU femmes ont travaillé ensemble pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Parlez-nous un peu plus de cette collaboration ?
La Direction générale de la Sûreté nationale et ONU Femmes mènent depuis 2018 un partenariat inédit dans le domaine de la prévention et la réponse aux violences faites aux femmes et aux filles. Cette collaboration technique s’inscrit dans la réforme profonde, structurelle et fonctionnelle entamée par la DGSN pour assurer une réponse efficace et conforme aux normes internationales de prise en charge des femmes victimes de violence. Le partenariat entre la DGSN et ONU Femmes a pour principaux axes d’intervention le renforcement des capacités des chef•fe•s de Cellules de prise en charge des femmes victimes de violence pour répondre à toutes les formes de violences, la mobilisation et la sensibilisation internes au sein du corps de la police pour promouvoir une culture de l’égalité et la communication à destination des citoyennes sur les efforts déployés et les services disponibles et fournis par la DGSN en matière de prévention et réponse aux violences faites aux femmes et aux filles.