Grâce à la réforme du CPP de 2011, le Maroc dispose d’un arsenal juridique en conformité avec les standards internationaux en ce qui concerne les conditions de détention et les mesures de garde provisoire alternatives pour les mineurs en conflit avec la loi. Néanmoins, beaucoup de travail reste à faire pour assurer l’application des textes juridiques adoptés : les organisations de la société civile ne cessent de dénoncer les violations des droits des mineurs en conflit avec la loi, telles que le recours très fréquent à la privation de liberté et à la détention préventive, entraînant le placement illégitime en prison des mineurs pendant de longues périodes avant que le jugement soit rendu.
Par ailleurs, Le Rapport 2016 des Droits de l’homme de l’Ambassade des États-Unis au Maroc dit : « Dans les affaires où la peine encourue est supérieure à cinq ans, les pouvoirs publics sont tenus de fournir des avocats à l’accusé s’il n’a pas les moyens de s’en procurer un. Les avocats commis d’office par les autorités étaient souvent mal rémunérés, ils n’avaient fréquemment pas la formation requise pour les affaires concernant les mineurs, ou n’étaient pas affectés aux accusés en temps voulu. De ce fait, les accusés étaient souvent mal représentés ».
En 2018, le journal 360º mettait en lumière que 40 % des personnes incarcérées étaient en situation de détention provisoire[1], tout en identifiant l’absence d’une assistance juridique adéquate comme l’un des principaux facteurs entraînant une dilatation des temps de la détention provisoire. Dans ce cadre, les mineurs représentent un groupe encore plus vulnérable à ce type de violations de leurs droits, comme le montrent les données du CRE d’Oukacha, où la majorité des mineurs sont en détention provisoire, certains d’entre eux étant en attente de jugement depuis plus de deux ans. Cette situation est en ce moment susceptible de s’aggraver ultérieurement à cause de l’impact de la pandémie COVID 19, qui a paralysé pendant deux mois le système judiciaire en produisant une accumulation de dossiers sans précédent.
Selon les données du Ministère Public reportées dans les résultats préliminaires du SITAN de 2019, malgré le fait qu’en 2017 la majorité des affaires poursuivies en justice concernant des adolescent-e-s (le 54 %, soit 12 312 cas) avait fait objet d’une décision de remise au milieu familial, 17 % du total (soit 4 017 cas) avait été sujet à une arrestation temporaire avant le jugement. D’après la même source, en 2017 on recensait un total de 1 314 mineurs dans les centres de réinsertion et d’éducation, dont 925 en l’attente d’un jugement (70 %) et seulement 389 (30 %) avaient été déjà jugés.
Par ailleurs, les Observations finales au 3e et au 4e Rapport périodique soumis par le Comité des Droits des Enfants (2014) mentionnent que : a) Le système de justice pour mineurs de l’État parti demeure essentiellement répressif, dans la mesure où les enfants sont soumis à de longues périodes de détention avant jugement ; b) Le recours à des mesures de justice réparatrice demeure rare et la détention est, dans la plupart des cas, la première option.
Et afin de garantir un soutien adéquat à ces mineurs dès leurs premiers contacts avec la justice (arrestation, garde à vue), un service d’assistance juridique intégrale sera mis en place en faveur des mineurs identifiés). Un avocat spécialisé dans la justice des mineurs assurera le suivi juridique des dossiers des mineurs du groupe cible pendant tout leur processus judiciaire, avec le but d’éviter ou réduire au minimum leur détention.
Projet : Ensemble pour une justice amie des enfants (Maa’n min ajli aadala sadika lilataf)
Le projet financé par l’Union européenne vise à contribuer au renforcement de la promotion des droits de l’homme et de la bonne gouvernance. L’objectif général de la présente proposition vise à « Contribuer à assurer une justice adaptée aux mineurs en conflit avec la loi, garantissant le respect de leurs droits conformément aux standards internationaux », à travers son objectif spécifique « Renforcer la protection des droits des mineurs en conflit avec la loi par l’amélioration des conditions de détention et de réinsertion, le renforcement de capacités et le plaidoyer auprès des détenteurs d’obligations et responsabilités », dans les Centres de Réhabilitation et d’Éducation (CRE) au Maroc, en particulier de la Région de Settat-Grand Casablanca (les centres d’Ain Sebaa-Complexe Oukasha et le centre de Benslimane), en vue de prévenir la récidivité à travers l’amélioration des conditions de vie, l’accompagnement vers la réinsertion socioprofessionnelle et familiale. Les principaux résultats attendus du projet seront : Le respect des droits des mineurs en situation de détention est renforcé par la mise en place d’un dispositif d’appui psychosocial, juridique et d’accompagnement post-carcéral.
Les capacités des détenteurs d’obligations qui interviennent auprès des mineurs en conflit avec la loi sont renforcées.
Les mesures alternatives à la privation de la liberté et les principes de la justice réparatrice sont promus auprès des détenteurs d’obligations et de responsabilités.
Cette action est menée par AIDA avec la collaboration de son partenaire BAYTI et la DGAPR, La Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion.
Objectifs et résultats attendus de la mission
Ladite mission répond au résultat R3.P1.A1 qui concerne la réalisation d’une enquête sociologique qualitative sur la perception sociale et culturelle envers les mineurs en conflit avec la loi.
Dans nos expériences précédentes d’approche auprès de cette population, un fort rejet et stigmatisation se manifestent chez la majorité de la population, qui cadre ces enfants dans la case de la déviance et la délinquance, alors que le regard des professionnels tente plutôt de considérer les influences des différents facteurs sur la vie de chaque enfant, d’ordre affectif, social, éducatif et économique.
Cette enquête se donne comme objectif la détection des représentations sociales et culturelles autour des jeunes en conflit avec la loi, permettant cerner la perception sociétale de cette catégorie de jeunes.
Ce travail se réalisera avec une approche qualitative à Casablanca par des entretiens individuels et des focus groups, avec un échantillon composé de différentes tranches d’âge (jeunes, adultes et troisième âge, femmes et hommes) afin de saisir les perceptions dans l’ensemble des tranches d’âge et catégories sociales. Cette enquête servira de base pour la mise en place d’un dispositif de communication et sensibilisation (R3P1A2, R3P1A3) visant à changer les attitudes méfiantes et de rejet vis-à-vis des enfants en conflit avec la loi, vers un regard solidaire.
[1] https://fr.le360.ma/societe/absurde-plus-de-40-des-prisonniers-marocains-sont-endetention-preventive-155929